Le projet GRIV a beaucoup évolué depuis sa création en 1995. Ce projet est l'un des plus productifs en France, car 32 publications relatives à la cohorte GRIV ont déjà été publiées dans des revues scientifiques internationales.
Sur le plan de la cohorte:
Tout d'abord, grâce à l'excellence du réseau médical français, nous avons pu constituer la plus grande cohorte de sujets séropositifs à évolution extrême, non progresseurs et progresseurs rapides, au monde. Aujourd'hui, nous recensons environ 300 sujets non progresseurs et 100 sujets progresseurs rapides dans notre banque. Sachant que les critères de sujets non progresseurs que nous avons choisis touchent environ 1% des files actives de patients, on peut donc considérer que nous disposons des extrêmes d'un pool de 30 000 sujets infectés. Il s' agit là d'une véritable loupe épidémiologique, quand on sait que les plus grandes cohortes étudiées sont de l'ordre de 1 000 patients.
Bien que ces chiffres n'atteignent pas encore nos ambitions initiales, l'expérience nous montre qu'ils sont suffisants pour générer des résultats pertinents et très informatifs sur la maladie Sida.
Sur le plan des résultats de sérologie:
Le recul nous montre que certains sujets "non progresseurs" évoluent quand même vers la maladie car on observe qu'environ 20% d'entre eux ont montré des signes biologiques (baisse significative de leurs taux de lymphocytes CD4) de progression dans les 18 mois qui ont suivi leur inclusion. En fait, le concept de sujet "non progresseur" devrait être modifié en concept de "progresseur lent".
Nous avons réalisés des études sérologiques pour analyser la réponse anticorps dirigée contre des protéines majeures du virus: Gag, Env, Tat, Nef, Vpr. Nous avons observé qu'il y avait une corrélation statistique significative entre le fait de rester un non progresseur stable (qui n'évolue pas) et le fait d'avoir des anticorps dirigés contre Tat, mais pas contre Env, Nef, Vpr ou Gag. De plus, la réponse anticorps anti-Tat était exactement en corrélation inverse de l'antigénémie p24, marqueur de réplication virale.
Ces éléments suggèrent très fortement que la création d'une réponse anti-Tat doit permettre de ralentir l'évolution de la maladie. Comme Tat est de plus connue pour son rôle immunosuppressif, cette association prend du sens et l'idée de réaliser une vaccination ciblant la protéine Tat devient évidente.
Actuellement, nous avons d'autres résultats de sérologie sur la réponse anti-TNF, en collaboration avec le Pr Rappaport. Il semble que le TNF soit impliqué lui aussi dans l'évolution précoce de la maladie chez certains sujets en favorisant l'apoptose. TNF pourrait être le bras armé de la protéine Tat car Tat induit la production de TNF.
Sur le plan des résultats de génétique:
Le principe des études sur cohortes est de comparer les sujets non progresseurs et les sujets progresseurs rapides ainsi qu'un groupe de contrôles pour voir s'il existe des variants génétiques qui favorisent un type d'évolution. Notre travail s'est effectué en 2 étapes: une étape initiale où le génotypage haut-débit n'était pas disponible, et l'étape actuelle de génotypage haut-débit.
Dans une première phase d'approche “gène-candidat“, nous avons génotypé environ 1000 polymorphismes entre 2000 et 2006.
De cette phase initiale, on retiendra surtout la confirmation du rôle des variants de CCR5, CCR5-delta32 et CCR5-P1 (variant du promoteur), et du HLA (HLA-A29, HLA-B14, HLA-B35, HLA-B57, HLA DR11). D'autres associations significatives ont été observées et un bilan devrait être publié prochainement.
Dans la phase actuelle de génotypage, nous avons étudié la cohorte GRIV par puce de génotypage Illumina. Il y avait eu avant nous une seule étude sur puce publiée dans le SIDA par l'équipe du projet international Euro-CHAVI. Une autre étude par puces a été effectuée en parallèle à la notre sur la cohorte PRIMO dans le cadre de la plateforme génomique de l'ANRS. Tous les résultats convergent car ils mettent en avant un rôle primordial de la région HLA sur la progression de la maladie.
Les puces posent un problème d'exploitation car elles fournissent un très grand nombre d'information mais l'interprétation reste difficile à cause des signaux faux-positifs d'ordre statistique. Notre équipe travaille actuellement sur cet aspect pour essayer de diminuer la complexité statistique du problème. Grâce au développement de ces nouvelles heuristiques statistiques, nous espérons pouvoir ouvrir l'interprétation des résultats obtenus par puce et trouver de nouvelles pistes.
L'analyse empirique des données issues des puces suggère néanmoins déjà des pistes (même si non statistiquement significatives) grâce à l'interprétation biologique qu'on peut faire au niveau de certaines associations.
Sur le plan des analyses statistiques:
Face à l'avalanche d'informations génétiques dont nous disposons, il n'est plus possible de comparer la démographie génétique des deux populations non progresseurs et progresseurs rapides gène par gène en utilisant les logiciels conventionnels.
Cela nous a conduits à développer un nouveau logiciel, SCAGEN, qui permet de gérer facilement notre base de donnéees de résultats et d'identifier rapidement les meilleures associations. Nous avons de plus développé de nouvelles heuristiques d'association grâce au développement de logiciels d'haplotypage qui sont parmi les plus puissants au monde (Ishape et Shape-IT).
Enseignements tirés des études sur cohorte:
Il existe 2 types majeurs d'étude génétique dans le SIDA, les études d'extrêmes avec cas-contrôles (non progresseurs, progresseurs rapides et contrôles) et les cohortes de patients à tout stade, de date de séroconversion connue (appelés sujets séroconvertis). Les cohortes de patients séroconvertis auront une tendance à exclure les sujets progressseurs rapides. Il faut signaler qu'une cohorte appelée PRIMO, qui vise à recruter des patients dès leur séroconversion, a été mise en place depuis peu par l'ANRS et cette cohorte devrait pallier à ce biais. Cependant, du fait de son jeune âge, elle n'a pas encore assez de recul sur le plan de l'évolution clinique des patients.
La cohorte GRIV est unique au monde de par sa taille mais aussi parce qu'elle compare des sujets extrêmes, non progresseurs versus progresseurs rapides ainsi que des contrôles. De manière schématique, la cohorte GRIV semble plus propice pour mettre en évidence l'influence de gènes ayant un rôle précoce sur la maladie alors que les cohortes de patients à tout stade semblent plus appropriées pour mettre en évidence des gènes à influence plus tardive.
Comme la cohorte GRIV correspond aux extrêmes d'un pool de plus de 30 000 patients, elle devrait permettre de voir les effets de variants génétiques rares (de faible fréquence dans la population), ce qui n'est pas toujours le cas des cohortes de sujets séroconvertis pour lesquelles les plus grandes études publiées à ce jour comportaient environ 1000 patients. Les variants génétiques rares ayant une influence sur la progression présentent un grand intérêt potentiel car non seulement ils nous permettent de mieux comprendre les mécanismes de pathogenèse du virus, mais aussi ce sont eux qui ont le plus de chance d'ouvrir des perspectives sur de nouveaux axes thérapeutiques.
Cependant, l'étude par puce n'a pas pour le moment permis de souligner un rôle statistiquement prouvé autre que pour la région du HLA. Il est donc nécessaire de développer de nouvelles heuristiques d'exploitation bioinformatique des puces et c'est une des priorités actuelles de notre équipe.
Il apparaît aujourd'hui clairement que les approches de cohortes d'extrêmes comme GRIV et les approches de patients à tout stade sont complémentaires.
La France, grâce au financement de la Recherche Publique, a la chance de disposer aussi d'excellentes cohortes de patients à tout stade, la cohorte PRIMO, mais aussi la cohorte SEROCO toutes deux basées sur la date de séroconversion.
SEROCO pourra probablement être utilisée pour confirmer les données obtenues sur les cohortes GRIV et PRIMO, mais cela risque de ne pas être suffisant pour optimiser l'exploitation des puces.
Conclusion - Perspectives:
Les études réalisées sur GRIV suggèrent que la maladie évolue en plusieurs phases et à chaque phase certains mécanismes moléculaires sont en jeu qui font intervenir différents gènes. A terme, l'exploitation génétique devrait permettre de reconstituer les réseaux biologiques sous-jacents au développement de la maladie mais pour le moment, au niveau des puces de génotypage, nous nous heurtons à un problème d'exploitation statistique des données. Ce problème se retrouve pour les puces réalisées dans les autres maladies.
La collaboration de plusieurs équipes de recherche françaises à l'instar du projet ANRS de génomique du SIDA devrait aboutir à l'accélération de la compréhension des mécanismes de la maladie, et contribue à placer la France en pointe de la recherche mondiale contre le SIDA.